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LUXE ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Le ré-ameublement du château et le luxe qui y préside sont les sujets centraux des deux premiers documents. Le texte d'Emile Marco de Saint-Hilaire, page à la cour impériale, plagie largement les mémoires de Constant, premier valet de chambre de l’Empereur ; celui de Vivant Denon, dessinateur, écrivain, diplomate, directeur général du musée central de la République (actuel musée du Louvre), évoque les tableaux qui viennent embellir Fontainebleau.
Dans le dernier document Balzac trace en quelques lignes la biographie de Bette, son héroïne, dont la destinée est étroitement liée au succès de Napoléon et à son action volontariste dans le développement de l'industrie textile (notamment les soieries lyonnaises).



Napoléon, en attendant son monde, s’amusa à visiter les appartements neufs qu’il s’était fait construire dans le palais. On s’était servi, cette année, et pour la première fois, du bâtiment situé dans la cour dite du Cheval Blanc, où était précédemment l’école militaire qui venait d’être transférée à Saint-Cyr ; il l’avait fait restaurer, agrandir, décorer et meubler en appartements d’honneurs, dans le seul but, avait-il dit, d’occuper les manufactures de Lyon, et de donner de l’ouvrage aux ouvriers de Paris. Il est de fait que ce palais venait d’être tiré de l’état de ruine et de dégradation dans lequel on l’avait laissé subsister depuis le commencement de la Révolution. Il se trouvait alors, et comme par enchantement, rétabli avec une magnificence telle qu’on ne l’avait jamais vu, même dans les beaux jours de Louis XV.
Emile Marco de Saint-Hilaire, Mémoires d’un page de la cour impériale (1804-1815), Paris, Boulé éditeur, 1848, p. 106.




J'ai l'honneur de prévenir Votre Majesté qu'outre les 200 tableaux qui étaient déjà au palais de Fontainebleau, j'en ai envoyé 60 autres richement encadrés. J'ai fait de même mettre en ordre cette grande collection et j'ai écrit à M. le grand maréchal du palais pour le prier de demander à Sa Majesté l'autorisation de faire, pour les grands appartements, des dessus-de-porte qui représenteraient les différents lieux où Sa Majesté a eu ses quartiers généraux pendant les campagnes de Germanie, de Prusse et de Pologne. Cette opération devient d'autant plus facile que j'ai tous les dessins de ces lieux, et qu'elle pourrait procurer aux artistes des renseignements dont ils pourraient avoir besoin.
15 août 1808
tableaux envoyés à Fontainebleau
AF IV ? ? ?, apostille de la main d’un secrétaire
Denon à l’Empereur
Vivant Denon, directeur du musée Napoléon, correspondance administrative




Lors du mariage fantastique de sa cousine, Lisbeth [Fischer] avait plié devant cette destinée, comme les frères et les sœurs de Napoléon plièrent devant l’éclat du trône et la puissance de commandement. Adeline*, exclusivement bonne et douce, se souvint à Paris de Lisbeth, et l’y fit venir, vers 1809, dans l’intention de l’arracher à la misère en l’établissant. Dans l’impossibilité de marier aussitôt qu’Adeline le voulait, cette fille aux yeux noirs, aux sourcils charbonnés, et qui ne savait ni lire ni écrire, le baron commença par lui donner un état ; il mit Lisbeth en apprentissage chez les brodeurs de la cour impériale, les fameux Pons frères.
La cousine, nommée Bette par abréviation, devenue ouvrière en passementerie d’or et d’argent, énergique à la manière des montagnards, eut le courage d’apprendre à lire, à compter et à écrire ; car son cousin, le baron, lui avait démontré la nécessité de posséder ces connaissances pour tenir un établissement de broderie. Elle voulait faire fortune : en deux ans, elle se métamorphosa. En 1811, la paysanne fut une assez gentille, une assez adroite et intelligente première demoiselle.
Cette partie, appelée passementerie d’or et d’argent comprenait des épaulettes, les dragonnes, les aiguillettes, enfin cette immense quantité de choses brillantes qui scintillaient sur les uniformes de l’armée française et sur les habits civils. L’Empereur, en Italien très ami du costume, avait brodé de l’or et de l’argent sur toutes les coutures de ses serviteurs, et son empire comprenait cent trente-trois départements. Ces fournitures assez habituellement faites aux tailleurs, gens riches et solides, ou directement aux grands dignitaires, constituaient un commerce sûr.
Au moment où la cousine Bette, la plus habile ouvrière de la maison Pons où elle dirigeait la fabrication, aurait pu s’établir, la déroute de l’Empire éclata. L’olivier de la paix que tenaient à la main les Bourbons effraya Lisbeth, elle eut peur d’une baisse dans ce commerce, qui n’allait plus avoir que quatre-vingt-six au lieu de cent trente-trois départements à exploiter, sans compter l’énorme réduction de l’armée. Épouvantée enfin par les diverses chances de l’industrie, elle refusa les offres du baron qui la crut folle. Elle justifia cette opinion en se brouillant avec monsieur Rivet, acquéreur de la maison Pons, à qui elle voulait l’associer, et elle redevint simple ouvrière.
La famille Fischer était alors retombée dans la situation précaire d’où le baron Hulot l’avait tirée.
Ruinés par la catastrophe de Fontainebleau, les trois frères Fischer servirent en désespérés dans les corps francs de 1815.
Balzac, La cousine Bette, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome IV, pages 160-161.
* Cousine de Lisbeth, et épouse du baron Hulot.



LE PAPE, L'EMPEREUR, ET LA RENCONTRE DE FONTAINEBLEAU

Les deux témoignages suivants donnent un autre éclairage du tableau de Demarne et Dunouy. Savary, alors aide de camp de l'Empereur (et fait par la suite premier duc de Rovigo), fait un rapport circonstancié de la rencontre faussement fortuite. Le cardinal Consalvi, secrétaire d'État dirigeant à Rome les affaires en l'absence du pape, est en revanche indigné du non respect des conventions et du manque d'égards de Napoléon.



Il [l’Empereur] alla à la rencontre du Pape sur la route de Nemours. Pour éviter le cérémonial, on avait pris le prétexte d’une partie de chasse ; la vénerie, avec ses équipages, était à la forêt. L’Empereur arriva à cheval et en habit de chasse avec sa suite. […] La voiture s’y arrêta ; il sorti par la portière de gauche avec son costume blanc […]. Napoléon mit pied à terre pour le recevoir. Ils s’embrassèrent , et la voiture de l’Empereur, que l’on avait fait approcher à dessein, fut avancée de quelques pas, comme par l’inattention des conducteurs ; mais des hommes étaient apostés pour tenir les deux portières ouvertes ; au moment d’y monter, l’Empereur prit celle de droite, et un officier de cour aposté indiqua au Pape celle de gauche, de manière que, par les deux portières, ils entrèrent ensemble dans la même voiture. L’Empereur se mit naturellement à la droite, et ce premier pas décida de l'étiquette, sans négociations, pour tout le temps que devrait durer le séjour du Pape à Paris.
Mémoires du duc de Rovigo pour servir à l’histoire de l’empereur Napoléon, t.II, Paris, A. Bossange et Charles-Bréchet, seconde édition, 1829, pp. 111-112, cité par C. Beyeler, Le Pape et l'Empereur, p. 87.



La précipitation avec laquelle on obligea le pape à effectuer ce voyage ne fut pas moins indécente pour sa dignité que nuisible à sa santé. […] Durant tout ce long trajet, il ne lui fut permis de s’arrêter qu’un jour ou deux à Florence et un jour à Turin, et on le laissa à peine se reposer quelques heures dans d’autres endroits. […] En un mot, on fit galoper le Saint-Père vers Paris comme un simple aumônier que son maître appelle pour dire la messe.
Je ne parlerai point de tout ce que le Pape eut à souffrir dans la capitale par rapport au décorum ; je ne dirai pas la manière dont Napoléon se présenta à Sa Sainteté à Fontainebleau. Il allait à la chasse où il en revenait avec une meute de cinquante chiens. Je ne dirai pas non plus l’entrée nocturne et silencieuse dans Paris, pour cacher aux yeux de tous l’Empereur à la gauche du Pape ; il était forcé de laisser la droite au Saint-Père, puisqu’il se trouvait dans sa propre voiture. Je tairai encore comment et pourquoi, le jour du sacre, Napoléon fit attendre Sa Sainteté une heure et demie, assise sur le trône auprès de l’autel ; comment se passa cette cérémonie elle-même, si différente de tout ce qui avait été réglé et convenu ; je ne dirai pas que l’Empereur se couronna lui-même, après avoir brusquement saisi la couronne sur l’autel, avant même que le Pape étendit la main pour la prendre ; je ne dirai pas qu’au dîner impérial de ce jour, donné en présence de tous les grands corps de l’État, on mit le pontife au troisième rang à la table où se trouvaient l’Empereur, l’Impératrice et le prince électeur de Ratisbonne […]. Enfin je tairai les humiliations dont Pie VII fut abreuvé pendant tout le temps de ce douloureux séjour.
Mémoires du cardinal Consalvi, secrétaire d'État du pape Pie VII, Paris, Plon, 1864, pp. 402-404, cité par C. Beyeler, Le Pape et l'Empereur, p. 91.



NAPOLÉON, HOMME D'ÉTUDE, HOMME DE GUERRE

Les Mémoires du Baron Fain offrent un témoignage exceptionnel sur le quotidien de Napoléon. Dans ces extraits, il est d'abord question du travail dans le cabinet topographique des Tuileries (une pièce similaire se trouve à Fontainebleau dans les Petits Appartements), en présence de Bacler d'Albe. Le deuxième extrait évoque la tente de l'Empereur sur le champ de bataille, comme celle que l’on peut voir dans le musée Napoléon Ier.



L’Empereur appelait son bureau topographique une pièce accessoire où se trouvait une table de la plus grande dimension et sur laquelle on développait les cartes et les plans ; à Paris, dans les dernières années, cette vaste table remplissait le milieu de la pièce que l’Empereur traversait pour aller de sa chambre à coucher dans son cabinet. Dans les palais de Saint-Cloud, Compiègne, Rambouillet et Fontainebleau, dans les voyages comme dans les campagnes, le bureau topographique était toujours à proximité.
[…] On appelait d’Albe* quand l’Empereur voulait lire des dépêches sur la carte ; celui-ci indiquait, par des épingles à têtes rouges ou noires, les emplacements occupés par nos troupes et par l’ennemi ; il faisait ensuite ressortir par des nuances coloriées les signes de rivières, de montagnes ou de frontières qui importaient le plus à la question ; enfin il préparait les calculs de la distance, mettait l’échelle en évidence et ouvrait le compas à côté.
Les dépêches étant appliquées sur la carte, l’Empereur venait en prendre connaissance. D’Albe lui en faisait un rapport sommaire ; l’Empereur le suivait du doigt et faisait marcher le compas à travers les épingles ; souvent la grande dimension des cartes forçait l’Empereur à s’étendre de tout son long sur la table, et d’Albe d’y monter aussitôt pour rester maître de son terrain je les ai vus plus d’une fois étendus tous deux sur cette grande table et s’interrompant par une brusque exclamation, au plus fort de leur travail, quand la tête de l’un venait à heurter trop rudement la tête de l’autre. Cette posture ne serait que grotesque, si, dans ce moment même, on ne se représentait l’Empereur planant comme l’aigle sur les plaines éloignées où ses lieutenants manœuvraient, à perte de vue pour tout autre que pour lui.
Baron Fain, Mémoires, Paris, Arlea, 2001, pp. 28-29
* Bacler d’Albe était chef du bureau topographique.



Les tentes étaient d’une toile de coutil rayé blanc et bleu, bordée d’une frange de laine rouge. Le logement personnel de l’Empereur employait deux toiles formant deux pièces qui donnaient l’une dans l’autre.
La première pièce était le cabinet ; elle était meublée d’une petite table à écrire, d’un fauteuil de maroquin rouge pour l’Empereur et de deux tabourets pour le secrétaire et l’aide de camp de service ; la table et les sièges étaient pliants. La seconde pièce servait de chambre à coucher : on y dressait le petit lit de fer à fond sanglé ; des rideaux de soie d’un gros vert l’enveloppaient comme une grande barcelonnette. Le tapis de pied de la calèche servait de descente de lit, et le nécessaire de voyage complétait l’ameublement.
L’enveloppe de l’édifice était double, je veux dire que la tente se composait d’une toile extérieure qui se tendait sur des piquets, et une seconde en dessous qui formait la cloison intérieure. L’intervalle entre ces deux toiles devenait une espèce de corridor de service et de magasin où se tenaient habituellement le valet de chambre et le mameluck, et où l’on retirait pendant le jour les porte-manteaux, les matelas et les enveloppes de l’équipage des tentes. La nuit, quand l’Empereur s’était jeté sur son lit, on entrait deux coussins dans la première pièce, et l’aide ce camp et le secrétaire appelaient cela leur lit.
Les toiles, les petits meubles, le lit de fer, les matelas, tout se repliait, s’enveloppait dans des rouleaux de cuir et, porté à dos de mulet, suivait les mouvements du premier service. Il y avait un équipage semblable au second service et, je crois, un troisième en réserve avec les gros bagages. Il y avait un mulet à part pour le transport du lit.
[…] Les valets de pied de la maison faisaient le service de la tente avec une grande dextérité ; ils l’a dressaient en moins d’une demi-heure, quoique ce fût presque toujours à la nuit close. […] [Fain en vient ensuite à raconter cette anecdote : C]’était le soir d’une grande bataille ; la tente s’était longtemps fait attendre ; elle était à peine dressée que je m’étais déjà glissé sous les toiles, et dans l’accablement du sommeil qui me poursuivait, j’avais cru m’endormir sur quelque porte-manteau des équipages : qu’on juge de mon réveil ! L’oreiller de la nuit n’était qu’un mort frais de la veille ! Horresco referens ! J’en frémis encore en le racontant.
Baron Fain, Mémoires, Paris, Arlea, pp.188-189.



« LES SANGSUES DE FONTAINEBLEAU »

La présence de la cour impériale est l'occasion pour les commerçants bellifontains d'engranger de substantiels profits en augmentant très fortement les prix… Napoléon décide de mettre un terme à ces abus. C'est ce que rapporte Constant, valet de chambre de l'Empereur.



Lorsque la cour séjournait à Fontainebleau, les habitants se dédommageaient amplement des longues absences de Sa Majesté par le prix élevé qu’ils mettaient aux objets de consommation. Leurs profits étaient alors de scandaleuses curées, et plus d’un étranger, faisant une excursion à Fontainebleau, à dû se croire tenu à rançon par une troupe de Bédouins. Durant le séjour de la cour, un mauvais lit de sangle, dans une mauvaise auberge, se payait douze francs pour une seule nuit ; le moindre repas coûtait un prix fou, et encore était-il détestable ; c’était, enfin, un vrai pillage exercé sur les voyageurs. […] Mais un abus aussi révoltant vint aux oreilles de l’Empereur, qui s’en mit fort en colère, et ordonna qu’il serait fait sur-le-champ un tarif portant une fixation de prix, dont il fut défendu aux aubergistes de s’écarter. Cette mesure mit un terme aux exactions des sangsues de Fontainebleau.
Mémoires intimes de Napoléon Ier par Constant son valet de chambre, Mercure de France, Le Temps retrouvé, Tome I, p 436.

La Société des Amis & Mécènes du Château de Fontainebleau I crédit photos I Legal