LE PAPE, L’EMPEREUR, ET LA RENCONTRE DE FONTAINEBLEAU

Les deux témoignages suivants donnent un autre éclairage du tableau de Demarne et Dunouy. Savary, alors aide de camp de l’Empereur (et fait par la suite premier duc de Rovigo), fait un rapport circonstancié de la rencontre faussement fortuite. Le cardinal Consalvi, secrétaire d’État dirigeant à Rome les affaires en l’absence du pape, est en revanche indigné du non respect des conventions et du manque d’égards de Napoléon.

Il [l’Empereur] alla à la rencontre du Pape sur la route de Nemours. Pour éviter le cérémonial, on avait pris le prétexte d’une partie de chasse ; la vénerie, avec ses équipages, était à la forêt. L’Empereur arriva à cheval et en habit de chasse avec sa suite. […] La voiture s’y arrêta ; il sorti par la portière de gauche avec son costume blanc […]. Napoléon mit pied à terre pour le recevoir. Ils s’embrassèrent , et la voiture de l’Empereur, que l’on avait fait approcher à dessein, fut avancée de quelques pas, comme par l’inattention des conducteurs ; mais des hommes étaient apostés pour tenir les deux portières ouvertes ; au moment d’y monter, l’Empereur prit celle de droite, et un officier de cour aposté indiqua au Pape celle de gauche, de manière que, par les deux portières, ils entrèrent ensemble dans la même voiture. L’Empereur se mit naturellement à la droite, et ce premier pas décida de l’étiquette, sans négociations, pour tout le temps que devrait durer le séjour du Pape à Paris.

Mémoires du duc de Rovigo pour servir à l’histoire de l’empereur Napoléon, t.II, Paris, A. Bossange et Charles-Bréchet, seconde édition, 1829, pp. 111-112, cité par C. Beyeler, Le Pape et l’Empereur, p. 87.

 


La précipitation avec laquelle on obligea le pape à effectuer ce voyage ne fut pas moins indécente pour sa dignité que nuisible à sa santé. […] Durant tout ce long trajet, il ne lui fut permis de s’arrêter qu’un jour ou deux à Florence et un jour à Turin, et on le laissa à peine se reposer quelques heures dans d’autres endroits. […] En un mot, on fit galoper le Saint-Père vers Paris comme un simple aumônier que son maître appelle pour dire la messe.
Je ne parlerai point de tout ce que le Pape eut à souffrir dans la capitale par rapport au décorum ; je ne dirai pas la manière dont Napoléon se présenta à Sa Sainteté à Fontainebleau. Il allait à la chasse où il en revenait avec une meute de cinquante chiens. Je ne dirai pas non plus l’entrée nocturne et silencieuse dans Paris, pour cacher aux yeux de tous l’Empereur à la gauche du Pape ; il était forcé de laisser la droite au Saint-Père, puisqu’il se trouvait dans sa propre voiture. Je tairai encore comment et pourquoi, le jour du sacre, Napoléon fit attendre Sa Sainteté une heure et demie, assise sur le trône auprès de l’autel ; comment se passa cette cérémonie elle-même, si différente de tout ce qui avait été réglé et convenu ; je ne dirai pas que l’Empereur se couronna lui-même, après avoir brusquement saisi la couronne sur l’autel, avant même que le Pape étendit la main pour la prendre ; je ne dirai pas qu’au dîner impérial de ce jour, donné en présence de tous les grands corps de l’État, on mit le pontife au troisième rang à la table où se trouvaient l’Empereur, l’Impératrice et le prince électeur de Ratisbonne […]. Enfin je tairai les humiliations dont Pie VII fut abreuvé pendant tout le temps de ce douloureux séjour.

Mémoires du cardinal Consalvi, secrétaire d’État du pape Pie VII, Paris, Plon, 1864, pp. 402-404, cité par C. Beyeler, Le Pape et l’Empereur, p. 91.